Intervention prononcée le vendredi 29 avril 2016, à Carhaix, lors de la journée Inter-associative de l’APAJH Côtes d’Armor et l’APAJH Finistère par Mickaël SAUNIER – Psychanalyste, Intervenant en pratiques sociales.

Cet exposé ayant pour titre : Une Kultur commune, des territoires différents

Une Kultur commune
Des territoires différents.

INTRODUCTION

Il y a quelques semaines j’ai été invité à venir réfléchir avec vous autour d’une question centrale dans nos métiers la culture commune. Comment ? Pourquoi ? Pour qui ? Avec qui ? Voici déjà quelques questionnements qui peuvent venir se faire jour ici et maintenant.

Je suis Mickaël Saunier, intervenant en pratiques sociales, psychanalyste depuis bientôt 20 ans ; De cette psychanalyse humaniste, celle qui accueille, celle qui écoute, celle qui rencontre. Mon cabinet est ambulant. Mes petits carnets, de bons crayons, une voiture et me voici ici et par-là auprès d’équipes d’institutions afin de venir nous mettre au travail dans ce quotidien de la vie institutionnelle.

Modestement aujourd’hui, ensemble, nous allons nous risquer à penser cette problématique du jour, dans sa singularité.

Pour débuter cette réflexion, je vous propose de regarder ce tableau de Jean Rustin. Car, dès que je me suis mis au travail pour cette journée, Rustin ne m’a plus beaucoup quitté. Que voyons –nous ici représenté ?

Des corps sans expression, dans l’attente.
Dans son histoire, Jean Rustin était plein de couleurs, première partie de sa carrière d’artiste peintre. Son épouse travaillant dans une institution hospitalière de la région parisienne, l’invite à venir mettre de la couleur dans les couloirs de cette vieille institution psychiatrique. Ce qu’il découvre va le marquer jusqu’à même sa pictographie.
De corps inertes !
Des corps nus !
Pourquoi me direz-vous ai-je pu associer notre réflexion à l’œuvre de Rustin ? Qu’en pensez-vous ?
La vie, tout simplement. Donner vie, donner en-vie dans l’institution. Pour que notre culture commune ne soit pas seiche. Il faut de la vie. Ce que Rustin a vu était hors-vie. Notre culture commune doit être vivante pour que l’usager puisse avoir des couleurs ! Elle doit être vivante, c’est sûr, car elle est le filet de sécurité de l’équipe, qui, se sentant sécurisée, va pouvoir rencontrer les usagers, et en faire de belles personnes.
Vous le savez, dès que le dénominateur commun n’est pas parlé chacun vient se replier sur «soi ». C’est ici que se convoquent les butés des équipes socio-éducatives :

  • Tu n’as pas remis les verres comme ça…
  • Les fruits c’est ici, pas là…
  • La porte verte doit-être fermée….
    Plus de question sur l’autre !

Nous allons donc en partant de ce tableau, essayer d’étayer cette question de l’engagement nécessaire à l’autre, au-delà des injonctions, des évaluations quantitatives, pour être vivant et dire JE.

I – Au commencement était … le groupe

Un constat, l’individu est toujours membre d’un groupe, même si sa façon d’y appartenir consiste à se comporter comme s’il donnait réalité à l’idée qu’il n’appartient pas au groupe. Il ne peut en être autrement, l’homme est un être éminemment social, car vit le groupe depuis sa naissance (Du groupe familial, des amis, du couple, du travail). Dans ce groupe l’individu s’individue de façon plus au moins complète, et prend sa singularité de cette base partagée.

Lorsque l’enfant parait, il va se socialiser lentement. Cela va s’opérer à la fois par l’individuation du groupe primaire et l’intériorisation de ses normes et de ses valeurs.

Pour Didier Anzieu, le groupe est une enveloppe groupale, qui fait tenir ensemble les individus. Sans cette enveloppe pas de groupe, car pas de constance. La constance viendra des règles clairement établies. C’est parlé ! Ça tient ! C’est ici que le groupe va trouver le transindividuel ; entendez un soi propre au groupe.

Il y a une trame vivante qui est l’axe du parler entre ses membres.

II – de la Kultur commune

Une perspective
Pour que le groupe puisse fonctionner il faut que le roman familial ne soit pas trop manquant. Les symptômes, les manques, les blocages, les difficultés peuvent être aussi misent en avant en guise d’identité, donnant un sens et justifiant ainsi, aux yeux de l’individu, comme ceux des autres d’ailleurs, à sa présence au groupe.

Ces manques, ces béances sources de souffrance au quotidien, qu’ils soient énoncés ou non sous forme répétitive dans des ruminations paranoïdes, sont toujours reliés à l’histoire de la famille. Entendez ici au groupe de référence, d’appartenance de cet entre-soi, à la place réelle ou imaginaire que chacun pense y occuper, où y aurait pu y occuper.

La kultur, lieu de l’indentification, vient apporter sa dose de verticalité. Voici comment l’on peut venir énoncer cette Kultur commune. A la fois :

  • Espace
  • Individuation
  • Histoire
  • Repère
  • Place

III – Du transculturel

Pour être définitivement commun !
Il nous faut une base commune, mais surtout une base partagée. C’est-à-dire un étayage culturel partagé qui apportera de la :

  • Contenance
  • Holding/Handling
  • Matrice

Pour quelles raisons ce transculturel ? Une petite idée ?

Tout simplement pour mettre en route notre capacité de rêverie. Cela doit traverser de toute part. La rêverie doit rendre vivant. Mais c’est ici qu’il nous faut être attentif. A quoi ? A ne pas annuler l’autre dans sa propre capacité d’existence. La prise de risque est là.

Nous devons dans cette pensée d’un transculturel commun, affirmer un projet d’agir sur le monde. Ce monde n’est pas celui de l’impossible, mais celui de la vigilance, du souci. C’est ici une porte d’entrée pour affirmer cette Kultur commune, vôtre lieu d’existence.

Comment pourrions-nous résumer cela ?

Par le souci, la vigilance, donc, de/du :

  • l’autre,
  • la cohérence entre les pensées et les actes,
  • ce qui est dit et fait,
  • l’injustice, des inégalités,
  • la cohabitation,
  • redressage, du redressage à la marge,
  • questionnement.

S’inscrire dans cette perspective est une position vivante de l’attention à l’autre. Ici pas de prêt à porter, ou de près à penser. C’est sans nul doute redevenir acteur de ses pensées et de ses actes.

N’est-ce pas la définition même de l’autonomie ?

Je ne vais pas ici vous parler longuement de Lacan, mais je souhaite tout simplement venir y faire un petit tour pour poursuivre ma démontrassions.
En utilisant un schéma optique, il nous convoque, au travers des miroirs, à cette image qui ne peut être tout à fait celle que l’autre peut percevoir. Il nous l’enseigne par cette schématisation, que tout va dépendre de où l’œil va se placer. Il y a l’œil de soi, il y a l’œil de l’autre. Dans cette tentative d’explication, il n’uniformise pas, ne rationnalise pas, ne rase pas ! Il pense, met au travail, interpelle son auditoire.

Que faut-il entendre ici ?

Que la Kultur n’est pas un uniforme qui stérilise toute créativité et diversité, bien au contraire. Nôtre monde semble avoir peur de l’acte de penser.

N’est-ce pas les peurs qui stérilisent ?

Nous le vivons tous les jours dans notre monde à nous, celui du socio-éducatif, il est parfois plus simple de passer par les pensées sérielles, adaptables partout et surtout toutes faites, sans tenir compte à celui qui est en face de nous.

Il y de cela 15 jours, dans un IME, une rencontre se fait houleuse avec un jeune et l’équipe éducative. Ce jeune était convoqué chez le chef de service car, cela peut-être la formule consacrée, il ne voulait pas signer on projet individualisé.
Nous le savons bien, le projet individualisé est un outillage actuel. Mais, il ne doit pas être une surface vide de sens pour l’usager.
Il sort du bureau du chef de service. Nous nous croisons dans le couloir du secrétariat.

  • Lui- Toi, tu as un projet ?
  • Moi – Euh (je ne suis pas là pour lui, mais pour prendre soin des équipes socio-éducatives)
  • Lui- Tu as un projet alors ?
  • Moi- euh .. et vous ?
  • Lui – Moi je veux travailler, avoir un appartement et vivre avec ma copine.
  • Moi – Vous avez un beau projet
  • Lui – Oui mais les éduc me disent que je vais aller en Esat…. C’est quoi, moi je veux travailler.

Vous voyez par cette petite histoire, deux cultures s’opposent, mais le sujet est commun. C’est peut-être ici le plus dramatique, pour le jeune et pour les éducs.

  • Le Jeune : il nourrit un projet pour lui-même.
  • Les Educs : ils nourrissent le même projet, mais avec un vocabulaire différent

L’œil est différemment placé selon l’un et les autres. La vision en est différente. Y a-t-il accordage dans cette affaire ? Pas si sûr !

Kant nous le dit, si nous ne lâchons pas la bride, il ne peut y avoir d’expression de liberté, d’autonomie. Car c’est ici et maintenant, et il n’y aura rien plus tard, car rien ne se recréer sous forme de génération spontanée. Si nous ne travaillons pas cette Kultur commune, elle ne sera que fiction, illusion. Nous ne pourrons lui accorder le moindre crédit.

Paul est un jeune adulte de 25 ans. Il est atteint de schizophrénie. Il fréquente un ESAT, à mi-temps, c’est dans son projet. C’est un gros effort pour Paul d’intégrer cet établissement. Il a été rassuré par l’équipe éducative sur sa liberté d’aller et venir, sur des aménagements possibles de son temps de travail.
Tout est parfait ! Tout est rose ! Un projet idéal ! Oui idéal, mais loin d’avoir été pensé.
A l’atelier, il n’est plus question d’aller et venir. Ses déambulations étaient perçues par les moniteurs d’atelier telle une provocation. Il n’y avait plus de capacité de penser. Résultat, en quelques semaines il a pété les plombs. Il a été longuement hospitalisé. Aujourd’hui, il ne veut plus travailler.

Le projet comme seul fil rouge, sans tenir compte de l’autre. Une certaine pensée unique, nous le palpons, est risquée.

Que faut-il mettre en place ? A quoi penses-tu ?

En acceptant la réalité telle qu’elle est, en se donnant le temps de l’observation, de la réflexion au-delà du jugement premier, en se dégageant d’un éventuel sentiment de culpabilité et de responsabilité exclusive à l’égard de l’usager de nos institutions, nous retrouvons, pas à pas, notre capacité et notre liberté d’agir.

Retenons que construire une Kultur commune c’est penser par nous-même.

Attention, elle ne doit pas être non plus une idéologie. Car l’idéologie a pour effet de limiter la capacité de penser des institutions. Elle nous oblige, à notre insu, à ne pas rechercher de solutions que dans la direction imposée par le terme lui-même. Le travail social en est plein de ces idéologies. Par exemple :

  • L’inclusion
  • La socialisation
  • L’adaptation sociale
  • La rééducation
  • L’éducation …

Il faut dépasser les mots. Il faut convoquer votre capacité d’agir. Entendez, affronter la réalité politique. C’est ici u écart, une prise de risque je le conçois. Si nécessaire si nous voulons toujours dire JE demain.

Peut-être puis-je ici, moi aussi me risquer avec vous, face à vous, vous dire qu’une Kultur commune doit passer par cette expérience que ce qui compte ce n’est pas l’individu mais la personne. Car selon la philosophie décartienne, JE est un territoire ; la Kultur en est le lien, le lieu de l’indentification. Entendez, le lieu de l’espoir, lieu de vie. Il n’est pas question de choisir, mais il est question de racines pour notre projet global de cette pensée de Kultur commune.

Ne jamais démissionner ! C’est laisser place aux extrêmes, c’est le risque de laisser la place aux pensants qui viendraient nous dire la bonne parole.

Depuis tout à l’heure, je vous propose un dispositif opérationnel qui place le groupe, les personnes en fonction d’acteurs. Ce dispositif peut se résumer ainsi :

  • Apprendre la gratitude
  • Favoriser l’autonomie, pas l’indépendance
  • Revendiquer les stigmates, lutter contre les catégories
  • Apprendre à exprimer ses différences,
  • Apprendre à prendre la parole pour dire JE
  • Comprendre les désirs et désordres sociaux
  • Instituer sans institutionnaliser
    Winnicott appelle cela la capacité d’émerveillement. Premier lien d’accordage entre le bébé et sa mère. Je vous laisse réfléchir à cela.

IV – Le travail et le Social

C’est se tenir debout et marcher
Il faut ici être dans une dynamique. Je vous propose deux pas.
Le premier, le travail
Le second, le social

C’est-à-dire que travailler avec l’autre dans sa singularité, c’est ici créer une relation, créer les groupes. Ce travail doit être partagé, car il ne viendra jamais d’en-haut.

Autre petite histoire pour nourrir mon idée. Medhi a 15 ans. Il est multirécidiviste. Il est placé en MECS. La relation est violente avec les éducateurs. Ça cogne, ça cogne dure, ça cogne grave. Lors des temps d’analyse de la pratique que j’anime auprès de ces professionnels, la question vient très vite à être posée autour de cette violence « folle » :

  • Il est fou ce gamin…
  • Sa place est à l’HP, chez les dingues…
  • Il faut le cachetonner…
    Faisions un retour sur son histoire :
  • Violé à 2 ans par son grand-père puis son père
  • Prostitué à 10 ans
  • Guetteur en bas de son immeuble pour un réseau de vendeur de drogue de son quartier

Qui est violent dans cette histoire ?

Il est victime. Nous l’avons oublié. Sa violence n’est que le symptôme de sa propre relation au monde des adultes. Cette sur-violence est là uniquement pour ne pas sombrer dans les abimes de la folie.

Par cette violence il existe singulièrement !

Il en aura fallu du temps pour que l’équipe accepte cette idée, que ce comportement était son seul moyen de vivre, de ne pas s’effondrer psychiquement.
Il aura fallu construire quelques petits espaces pacifiés pour que ce jeune garçon puisse s’apaiser auprès d’une toute jeune éduc (trop féminine pour ses collègues).

Vôtre Kultur doit passer par l’identité sociale, c’est là qu’il faut travailler, c’est une boussole. Le lien social viendra par la suite.

Vôtre Kultur ne doit pas être non plus transparente. C’est d’ailleurs assez étrange cette idée de la transparence, car l’on n’y voit en définitive vraiment plus rien.

Vôtre Kultur doit être dans une logique de clarté :

  • Des actes collectifs
  • De la confiance
  • De la collégialitéC’est ici une ouverture vers le hasard de la rencontre, de la contrainte liée à la réalité, vous ne pouvez vous y soustraire.

V – En guise d’ouverture

Déplaçons notre œil
Je souhaiterais pour venir ouvrir vous poser cette question, pas si anodine que cela :
Qu’est-ce qui nous unit au final dans nos métiers ?

C’est la vie. C’est cette vie qui est peut-être notre seul vrai enjeu et le seul problème d’ailleurs. Mais vous avez raison, pas que cela. La vie doit s’accorder au fait de parler de nous.

Nous dans ce qui nous unit. Dans ce qui fait notre communauté d’hommes et de femmes, communauté culturelle, faite de pratiques semblables et de petites différences, de complétudes et de repères inaperçus.

Nous dans ce qui vient nous parler. Nous, être de parole, dans l’acte de parler, de dire. C’est être capable de manier des symboles. Car parler c’est tenter de comprendre.
Faire de la culture commune ce qui nous unit.

Prenons un dernier philosophe, Aristote, qui vient définir l’humain comme corps parlant. Comment pense-t-il cela ?
Corps car vivant :

  • Vivant corporel
  • Capable de se mouvoir
  • De se nourrir
  • De se reproduire
    Corps car parlant :
  • Parole-raison
  • Au-delà de la rationalité

Vers où allons-nous ? Une petite idée tout de même ?

CONCLUSION

Deux mots clefs que je souhaite vous présenter, telle une assise réflexive :

  • Créativité
  • Inventivité… pour mettre en avant vos capacités et les qualités que vous allez mobiliser, quelles que soient vos fonctions.

Travailler dans vos institutions, c’est travailler avec l’enfant, d’adolescent, l’adulte handicapé voire malade psychique. C’est eux qui doivent nous montrer le chemin, personne d’autre ! Car vous devez les accompagner dans la construction de leur personnalité, de leur identité. Vous devez observer, analyser, adapter, transposer votre/son savoir, vous laisser vous surprendre et surprendre l’autre, lâchez prise, vous appuyer sur des bases théoriques en référence à vos métiers d’origine afin de vous enrichir d’autres pratiques professionnelles ; elles vous permettront de vous adapter aux besoins des populations que vous accueillez. Vous devez ne jamais oublier de parler votre pratique, faire votre travail coût que coût, avec sérieux, sans se prendre au sérieux.. Savoir faire preuve d’inventivité et de créativité… tout un programme n’est-ce pas !

Voici une esquisse de votre culture commune !
Ça doit partir d’ici, de vous de personne d’autre, encore moins des injonctions de nos chers administrations de tutelles qui ne savent plus ce que rêver, risquer, parler veulent encore dire !

Edwige, Franck, Marc, Florence, Medhi ne demandent qu’une seule chose à notre culture commune, d’être accueillante, sans faux semblant, qu’ici ce n’est pas du pipeau.

Jean Oury disait que la rationalisation des moyens doit nous amener à travailler toujours d’avantage en coordination avec d’autres acteurs du sanitaire et du médico-social, dont l’objectif est d’assurer une continuité des soins et des accompagnements, et d’éviter les ruptures de prise en charge ….